RÊVES DE KAFKA

1984 |

En matière de rêve, Kafka était une sorte de spécialiste pour la bonne raison qu’il ne dormait pas.

Pour la conception et la représentation de ce lacis de rêves, avait été constituée une troupe de 14 acteurs, hommes et femmes, qui improvisèrent durant plusieurs mois, fournissant matériaux et pistes d’écriture au dramaturge (Enzo Cormann) et au metteur en scène (Philippe Adrien).

« Kafka était comme drogué à l’insomnie. Ce qui probablement le situait dans une zone où alternent la confusion, l’extrême lucidité, l’hallucination et le rêve. Il n’en sortait pas. Pour nous il fallait d’abord préciser la position du rêveur Kalita. Nous nous sommes liés à certaines indications de l’oeuvre et nous avons dédoublé le rêveur : Kafka et K. L’un (K) se trouvant le plus souvent intimement mêlé à l’action, l’autre (Kafka) étant plutôt spectateur ou qui sait metteur en scène. La question majeure était de savoir quelle pouvait bien être la perception de ce metteur en scène-là son regard et son audition spécifiques, on pourrait dire son style. A Cet égard la lecture de l’oeuvre, du « Journal « et de la « Correspondance « nous a bien sûr aidés. Mais aussi quelques conversations que nous avons eues avec Félix Guattari, qui avait eu l’idée de rassembler ces récits de rêves, se sont révélées très éclairantes. En bavardant, Guattari nous a, je crois, bien joué Kafka : un certain regard qui à la fois subirait la vision et susciterait l’image insolite avec cet humour un tant soit peu pervers. Au bout de quelque temps, au terme d’une improvisation sur tel ou tel rêve, nous savions aussitôt si ce qui s’était passé était conforme à l’imaginaire kafkaïen, si c’était juste ou non. (…)
Cependant Enzo Cormann effectuait de son côté une plongée similaire dans les écrits de Kafka. Dès qu’il nous a rejoints nous avons engagé à la fois toutes les opérations qui entrent dans la création d’un spectacle théâtral : l’écriture, le dispositif scénique, les costumes, la lumière, la mise en scène, le jeu simultanément conception et réalisation, comme on dit « à chaud ». Il faudrait pouvoir décrire dans les détails l’extraordinaire activité qu’un tel travail Suscite dès lors qu’est laissé libre cours à l’inter-subjectivité. Il est sûr que le style de l’intervention d’Enzo Cormann, sa qualité d’écoute, son intelligence du processus en cours, son écriture, sa capacité à traiter le matériau brut des improvisations, à revenir pour les peaufiner après qu’elles aient été expérimentées dans le jeu sur ses propositions de texte, ont été en fin de compte déterminants, mais il faut toujours redire par rapport à une telle entreprise que tout part des acteurs, que rien ne parvient à la représentation qu’ils n’aient risqué sans filet, en improvisation. (…)
KaIka aimait bien le théâtre, il avait du reste pour ami un acteur d’une troupe yiddish, Löwy et donc bien sûr certains de ses rêves se passent au théâtre pendant une représentation. L’un d’eux commence précisément par ces mots : « Au théâtre, on joue « Das Weite Land » d’Arthur Schnitzler… »
Philippe Adrien
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Avant-Scène n°755

Création Théâtre de la Tempête
Théâtre National de Strasbourg
Festival de Purchase, New-York.

Prix de la Critique 1985

Traduction(s) :
Dieter HORNIG |allemand