LE DIT DE L’IMPÉTRANCE

2003 |

Prolégomènes à une séance (trop) prévisible de « casting », et retours divers sur la vie d’une fille qui voudrait tourner dans un film…

A présent, vous prescrivez que je marche, que je regarde la nuit imaginaire par une fenêtre imaginaire, que je joue la fille seule, après le départ de son amant. Je vous fais la fille nue, de dos, face et profil, vous filmez une fille seule, et les gens voient le film – mais il n’y a pas de film, il n’y a que mon désir de figurer dans votre désir de film qui est votre désir de figurer dans l’histoire du cinéma. (Et c’est quoi, le cinéma ? – Le cimetière des films.) – Et que montre le film, s’il y a le film ? Le film montre le film, une histoire de fille seule, avec la solitude, mais sans la fille, la fille n’est pas là, n’est pas censée y être : juste la nudité, la peau, la solitude, des seins et des gestes, des attitudes prescrites, toutes ces choses qu’elle abandonne, à la lumière, à l’objectif, au film, à la nuit du film, au cinéma, au cimetière des films.
Mais je m’adonne à cette idée du film, me donne à perte, au film sans film, peau sur pellicule, pellicule sans film, à cet essai pelliculé de fille seule nue, perdue, pour satisfaire votre désir de savoir si ça va ou pas, si je sais faire ou pas (le nu féminin solitaire ?), si je fais l’affaire ou pas pour la féminité, pour la solitude, pour la nudité, non pas pour moi, pour jouer moi, pour jouer moi femme, pour jouer moi seule, pour jouer moi nue, mais pour jouer le film, votre film, uniquement votre film, vous concevez le film et vous êtes le film, et moi c’est vous, vous êtes le film de moi jouant la fille seule nue, vous êtes moi mais vous restez vous, tandis que moi non – mais n’est-ce pas logique ? quoi de plus naturel ? n’êtes vous pas quelqu’un ? n’avez-vous pas conquis ce titre ? conquis de haute lutte le pouvoir de prescrire ? conquis l’une après l’autre toutes ces dalles gravées, dans le cimetière des films, le cinéma ?

France Culture : « DISTRIBUTION » adaptation radiophonique – 1ère diffusion : 22 mai 2007.
Réalisation : Jean-Matthieu Zhand
Interprétation : Catherine Matisse.