DA CAPO

1993 |

Duo pour comédien et saxophoniste.

Les échos d’un concert se déroulant derrière une des cloisons supposées de la pièce…

… l’espace nu, impersonnel, une chaise, une table, un étui de saxophone donnent à penser à une loge, située dans un quelconque club de jazz (la plupart des réduits tenant lieu de loges d’artistes dans ce genre d’établissement ayant très généralement la configuration de placards à balais…).
Asa est aveugle. Musicien de jazz, il n’a plus touché un piano depuis dix ans.
Babil est muet. Saxophoniste de grand renom. Faute d’un interprête, l’ardoise magique dont il use d’ordinaire pour s’exprimer est d’un maigre profit pour l’aveugle — aussi ce dernier a-t-il appris, au cours des sept années qu’a duré leur compagnonnage, à entendre le saxophone comme la pie, supposons-nous, comprend le rossignol.
Lorsqu’ils jouaient encore ensemble, Asa avait juré à Babil qu’il se suiciderait le jour de ses quarante ans. Après dix années de brouille, les voici de nouveau réunis pour l’occasion.
Outre le contenu proprement manifeste de l’échange, tant verbal (Asa) que musical (Babil), le spectacle donne à entendre son contenu latent, peuplé de nombreux autres instruments, appelés mentalement à la rescousse du tête-à-tête par cette sorte de réflexe imaginaire que les deux hommes ont en commun de transformer leur solitude en un chorus sur fond d’orchestre, n’omettant que rarement d’y adjoindre les applaudissements dont la vie courante est si généralement avare.

Durant près de trente ans (1989-2017), au fil d’une vingtaine de créations — et d’autant d’impromptus —, l’équipée jazzpoétique de La Grande Ritournelle a voyagé et proliféré à partir du duo initial d’une voix parlée (moi-même) et d’un saxophone (Jean-Marc Padovani) : du trio au big band, et du canonique quartet de jazz aux orchestres composites (jazz, musiques du Maghreb et du Moyen-Orient, flamenco…)

Ce compagnonnage artistique avait une vocation transversale, indisciplinaire, échappant aux catégorisations usuelles : théâtre ? musique ? performance poétique ? slam ? opératorio ?… 

De surcroit, l’agencement duel n’avait rien d’une « idée » : nous éprouvions l’un et l’autre le besoin d’un déplacement radical, en suivant des lignes de fuite susceptibles de bouleverser nos parcours respectifs de musicien de jazz et d’écrivain dramaturge.

Le duo fictionnel que forment Babil et Asa est évidemment métaphorique de cette nécessité : du fait de leur handicap respectif (l’un muet, l’autre aveugle), ces deux là n’ont en effet d’autre possibilité pour s’entendre que d’en passer par le saxophone de l’un et les mots de l’autre — quitte à ce que ce dialogue improbable finisse par les changer l’un et l’autre à un point tel que plus personne ne les reconnaisse.

Ce dit pour voix et saxophone a été créé au printemps 1993 à La Comédie de Valence et au Théâtre de la Tempête, par Jean-Marc Padovani (dans le rôle de Babil) et moi-même (dans celui d’Asa), avec des compositions musicales du premier, et dans une mise en scène de Philippe Delaigue.

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Premières représentations : Comédie de Valence, mars 1993. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, 1993.
Mise en scène: Philippe Delaigue.
Avec : JM Padovani & Enzo Cormann.

Édition : Vite ! et autres dits, L’artisan chaosmique, 2022.

Traduction(s) :
FERNANDO GOMEZ GRANDE (esp.) | (publiée avec 4 autres « oratorios » aux Editions Teatro del Astillero)
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