L’APOTHÉOSE SECRÈTE
1993 |
poème dramatique/oratorio
Quatre voix d’enfants
qui sortent d’un puits
Un nuage noir
C’est Gilles qui va !
Après La Plaie et le couteau, pièce traitant des huit dernières années de la vie de Gilles de Rais, il me semblait avoir encore à dire, non pas tant sur Gilles lui-même, que sur la foule massée sur le chemin du gibet, et les circonstances de l’extraordinaire retournement qui allait en quelques heures changer la figure haïe de l’ogre en une icone déchainant la ferveur populaire. De ce poème dramatique, a été formé un oratorio, composé par Edith Canat de Chisy : Tombeau de Gilles de Rais.
« Si l’on n’a pas bien présent à l’esprit, écrit J. le Goff, l’obsession du salut et la peur de l’enfer qui animaient les hommes du Moyen Age, on ne comprendra jamais (…) combien les plus avides de biens terrestres du Moyen-Age finissent par mépriser toujours le monde. (Mais, note Philippe Aries, pour pouvoir le mépriser, ne fallait-il pas l’avoir d’abord aimé à la passion ?)
Gravures sur bois à l’usage des riches illétrés du XVè siècle, les artes moriendi montraient l’âpre combat opposant le Diable et l’Archange au chevet du mourant. Pour tenter de s’approprier l’âme du mourant, le Diable use de deux types de tentations, ainsi décrite par Philippe Aries : Le mourant est d’abord sollicité d’interprêter sa vie dans le sens du désespoir ou de la satisfaction. Le diable lui montre toutes ses mauvaises actions. De son côté, l’ange gardien exhorte le mourant à la confiance dans la miséricorde divine. La bona inspiracio de l’ange permettra-t-elle au mourant de repousser la contemplation morbide de sa vie et de ses crimes ? Ou s’abandonnera-t-il au desespoir où l’inclinent déjà ses souffrances physiques ? se livrera-t-il à d’indiscrètes pénitences qui iront jusqu’au suicide ? A son chevet un diable le désigne à lui-même se frappant d’un poignard et lui dit : « Tu t’es suicidé.”
Le diable expose ensuite au regard du mourant tout ce que la mort menace de lui ravir, qu’il a possédé, aimé pendant la vie, qu’il veut retenir, qu’il ne se résoud pas à abandonner, à la fois des êtres humains, femme, enfants, amis très chers, et aussi des choses : « toutes les autres choses de ce monde qui sont désirables. » (Omnia temporalia) L’avaritia est « attachement excessif aux temporalia et aux choses extérieures, à l’égard des époux et amis charnels ou richesses matérielles, aux autres choses que les hommes ont trop aimées pendant leur vie. » (…) L’avaritia est l’amour immodéré du monde. Plus qu’un pêché dont on a honte et remords, elle est haine de Dieu, odium Dei, qui pousse à l’endurcissement et au défi, à l’alliance avec le Diable. (…) L’Eglise condamnait à la fois avec l’avaritia l’amour des hommes et celui des choses, car l’un et l’autre éloignaient également de Dieu. (…)
L’alternative du mourant médiéval était la suivante : ou bien ne pas cesser de jouir des temporalia, hommes et choses, et perdre son âme, comme lui disaient les hommes d’église et toute la tradition chrétienne, ou bien y renoncer et gagner son salut éternel : temporalia aut aeterna ?”
Quiconque succombe à l’heure de sa mort à telle de ces tentations échoue en enfer, quelle qu’ait été par ailleurs sa conduite durant toute sa vie. A l’inverse une bonne mort est susceptible de racheter une existence vouée au péché.
Savonarole résumait l’alternative en ces termes : “Homme, le diable joue aux échecs avec toi et s’efforce de te prendre et de te donner échec et mat à ce point (la mort). Tiens-toi donc prêt, pense bien à ce point, parce que si tu gagnes en ce point tu as gagné tout le reste, mais si tu perds, ce que tu as fait ne vaudra rien.”
Éditions :
Minuit (1993), in La Plaie et le couteau suivi de L’apothéose secrète
CD Label 426 — Enregistrement sonore (1997, in Tombeau pour Gilles de Rais) (Musique d’Edith Canat de Chisy).
Création(s) :
— Lieu : La Chartreuse-CNES Villeneuve lez Avignon / Année : 1993 /
création radio : Enregistrement public, Chartreuse de Villeneuve lès Avignon, France Musique, 1994
les 22, 23 et 24 juillet 1993, Ensemble Musicatreize, sous la direction de Roland Hayrabedian