HORS JEU
2010 |
Gérard Smec, ingénieur au chômage, « passe à l’acte » après avoir été radié du dispositif d’indemnisation par décision autoritaire de la manager du Job Store (ex Pôle Emploi) dont il dépend.
Le 13 mai 1993, un homme vêtu de noir et le visage dissimulé par un casque de motard prend en otages les vingt et un écoliers âgés de trois à quatre ans de la classe maternelle n°8 du groupe scolaire Commandant-Charcot de Neuilly-sur-Seine, ainsi que leur institutrice. Muni d’une arme de poing et de bâtons de dynamite, il menace de « tout faire sauter » s’il n’obtient pas cent millions de francs. Le 15 mai, le preneur d’otages, nommé Érick Schmitt, 42 ans, informaticien, ancien chef d’entreprise, cadre au chômage, qui signe H.B. (pour « Human Bomb ») est abattu par les hommes du RAID.
Le 6 février 2001, Werner Braeuner, 46 ans, informaticien au chômage vivant à Verden, dans la région de Brême (RFA), se rend au domicile de M. Klaus Herzberg, 63 ans, responsable de l’Arbeitsamt local (l’équivalent allemand de l’ANPE française) qui lui avait supprimé ses allocations, et le frappe à mort avec un outil de jardinage trouvé sur place. Puis il se rend à la police. Jugé l’année suivante, il est condamné à douze années de réclusion criminelle.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 2002, à Nanterre, la séance du conseil municipal vient de s’achever lorsqu’un homme, Richard Durn, 33 ans, assis dans le public, se lève et tire sur les élus avec plusieurs armes de poing (membre d’un club de tir, il possède deux pistolets Glock et un revolver 357 magnum).
Méthodiquement, il abat les élus jusqu’à ce que quelques-uns d’entre eux parviennent à le maîtriser. Bilan : huit morts, une vingtaine de blessés dont plus d’une dizaine grièvement. Placé en garde à vue au Quai des Orfèvres, Durn se suicide en se défenestrant.
Le 16 avril 2007, l’étudiant sud-coréen Cho Seung-Hui (dit Blazers5505), âgé de 23 ans, tue une trentaine de personnes à l’université américaine de Virginia Tech à l’aide de deux pistolets Glock 19 et Walther P22, avant de se suicider. Quelques heures avant le carnage et son suicide il enregistre en vidéo plusieurs déclarations et rédige un texte très dense dans lequel il s’insurge contre « les gosses de riches » et « les charlatans trompeurs ». Il écrit notamment : « À cause de vous, je meurs, comme Jésus-Christ, pour inspirer des générations de faibles et de sans défense ». Face à la caméra, il déclare : « Vous aviez des centaines de milliards de possibilités et de moyens d’éviter [la tuerie d’aujourd’hui] Mais vous avez décidé de verser mon sang. (…) Je n’avais pas à faire ça, j’aurais pu partir, m’enfuir. Mais non, je ne m’enfuirai plus. Plus de ça pour moi. Pour mes enfants, mes frères et sœurs que vous baisez, je l’ai fait pour eux. »
Ces quatre hommes ont sans doute peu en commun, mais ils ont en partage l’expérience de l’exclusion, de l’isolement, de la déchéance sociale et du passage à l’acte catastrophique. Il est extrêmement aisé de les considérer tous trois comme des êtres socialement surdéterminés à la folie destructrice — moins confortable sans doute d’envisager la liberté qui était également la leur, comme elle est à chaque instant la nôtre, de faire eux-mêmes quelque chose de ce que le monde avait fait d’eux. À l’instant du drame, ils ne sont plus victimes, s’étant faits bourreaux : ce sont eux, soudain, qui enferment, menacent, terrorisent, blessent, tuent… Comme sans doute bien d’autres, ils n’ont subitement plus aperçu d’autre possibilité de se ressaisir comme sujet de leur propre existence que de s’arroger le pouvoir de vie et de mort sur leurs semblables. Durn, Schmitt, Braeuner, Seung-Hui… font alors symptôme d’un mal infiniment trop grand pour un homme seul, si dangereux (et haïssable) qu’il puisse se révéler à l’occasion.
Sous ses allures de farce noire, le tragique est ici celui, désigné par Pierre Bourdieu, qui « naît de l’affrontement sans concession ni compromis possible de points de vue incompatibles, parce qu’également fondés en raison sociale ».
Création Festival d’Avignon 2014, Cie la Fédération, m.e.s. P. Delaigue, interprétée sur le plateau par l’auteur, et en son par Philippe Gordiani.
Pièce éditée aux Solitaires Intempestifs (France, 2013). Artezblai Ed. (Espagne, 2011)
Ces gens, ce ne sont pas des ˝chômeurs˝, des ˝exclus˝, des˝asociaux˝… : c’est moi, c’est nous. Ce sont des femmes, des hommes, jeunes ou vieux, des êtres humains, des concitoyens.
Le théâtre se propose de restituer de l’existence sociale, voire de la grandeur, à celles et ceux qui en ont été déchus. Mais aussi de donner aux morts la possibilité de faire retour sur la scène des vivants, pour venir enrichir les leçons du passé des possibles du futur.
Hors jeu reconstitue la passion et le passage à l’acte catastrophique d’un ingénieur quinquagénaire au chômage, tenu pour seul responsable de son exclusion.
On a pu dire que “le fait divers fait diversion” (Bourdieu), mais il témoigne aussi de la guerre économique et sociale – pour peu qu’on le mette en examen.
Hors jeu instruit le procès de l’évènement en accueillant la parole de l’exclu – défunt – à la barre du présent, afin qu’il trouve enfin sa place parmi les vivants.
FERNANDO GOMEZ GRANDE (esp.) | espagnol (castillan)
Lui écrire
HANS THILL (all.)
Deutschlandradio Kultur 2016
Jobcenter
Regie: Leonhard Koppelmann
Übersetzung: Hans Thill
Mit: Heikko Deutschmann, Nele Rosetz, Lisa Hrdina und Mark Waschke
Komposition: Philippe Gordiani
Redaktion: Stefanie Hoster
Ton: Martin Eichberg