BERLIN, TON DANSEUR EST LA MORT

1981 |

Le 19 juillet 1932, Gretl Schüler chante pour la première fois sur la scène du cabaret berlinois « La Dame de Pique ».

Le 19 juillet 1932

Gretl Schüler chante pour la première fois sur la scène du cabaret berlinois « La Dame de Pique ».
Le 15 septembre, un commando S.A. met l’établissement à sac.
Dans le Berlin en ruines de 1946, Gretl tente d’assembler les pièces d’un puzzle de quinze années d’ombre et d’errance.
J’ai écrit la première version de « BERLIN, TON DANSEUR EST LA MORT », (la première pièce que je n’ai pas cru bon devoir confier aux bons soins de ma poubelle) en 1980. Depuis lors, quinze années ont passé qui ont notamment vu la chute du mur de Berlin. (D’où peut-être la nécessité ressentie en 1992, de proposer une version revue et corrigée de la pièce).
Je n’étais jamais allé à Berlin, et je ne parle ni ne lis l’allemand, mais j’avais été l’étudiant durant deux années de Jean-Michel Palmier, encyclopédie berlinoise vivante, à la passion communicative. J’ai donc fait le voyage, la tête pleine du Berlin des années 20, dont il n’existe pratiquement plus trace, la ville ayant été détruite à 90% par deux années de pilonnage incessant des bombardiers américains et des 22.000 canons russses. Comme Palmier, j’ai cherché en vain la rue de la Belle-Alliance, ou demeurait Gottfried Benn, les cafés où se rencontraient les expressionnistes, les cabarets où chantait Claire Waldoff, où dessinait Zille, où rêvait Kirchner, où écrivait Läsker-Schüler… Après une semaine d’errance, j’ai vu un autoportrait de George Grosz, dans un des musées de la ville. Le regard du peintre allait se perdre par une fenêtre dans le terrain vague voisin, où des blocs de béton vérolés semblaient flotter parmi les ronces. Ce regard m’a dicté la structure de la pièce, et jusqu’à son intrigue.
Rien ne m’intéresse plus que la névrose, et chez les gens, la généalogie de leur névrose. Ce que je nomme parfois mon « réalisme paroxystique », pour reprendre l’expression forgée par Michel Leiris pour caractériser la peinture de Francis Bacon, tient à ce goût pour l’âme en peine.
Mais la névrose s’enracine dans l’Histoire. La prose du monde est en majeure partie composée de vociférations sur fond de détonations. Chaque habitant de Vukovar détruit ou de Sarajevo assiégé, souffrant de ce qu’il est désormais convenu d’appeler polytraumatisme de guerre, témoigne de l’effroyable carambolage entre l’élan d’une vie et la marche de l’Histoire. Le destin n’a pas rendu les armes avec la tragédie classique. Les dieux ont repris forme humaine, et le désastre, nous dit Blanchot, prend soin de tout.

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Premières représentations : Sarrebrück 1989, mise en scène S. Trautmann.
France Culture : mise en ondes Jean-Pierre Colas – 1ère diffusion 1er juillet 1982
Ballatum Théâtre, (Alloucherie-Lacascade) 1984
Radio Suisse Romande 1985.
Grenoble 1990, mise en scène Michel Dibilio.

Edition : Editions Théâtrales, Paris, 2005 (3è édition du texte paru en 1981 aux mêmes éditions, entièrement revu et corrigé en 1992.). Préface de Jean-Michel Palmier.

Traduction(s) :
Tchèque
Heinz SCHWARZINGER | allemand