LES DERNIERS JOURS DE L’HUMANITÉ

1986 – 2088 – 2000 |

de Karl Kraus | En collaboration avec Philippe Delaigue

La tragédie de Kraus (y compris dans sa version scénique) met en scène plusieurs centaines de personnages, sans compter… les douze cents chevaux du Comte Donha ou les cohortes de soldats en guenilles ! Dans cet infernal manège de mort, étourdissant, tonitruant manège de figures au pays de la guerre, Karl Kraus nous fait toucher du doigt, en dehors de toute tentative directement didactique – plutôt à la façon de ce que J.L. Godard appellerait aujourd’hui un documentaire – comment le langage, créé amplifié relayé par la presse, participe de la guerre, en quelque sorte la met en scène. Ce qui l’intéresse n’est pas tant de relater par le menu les événements du front (le nombre effroyable des morts nous dit à lui seul tout ce qu’il convient d’en connaître) mais de raviver le concert d e méchancetés, de tartufferies, de calculs et d’ignorance qui, après avoir permis l’avènement d’une telle boucherie, l’alimenta sans trève de
l’arrière. « Maintenant, tous les cheminements de pensée sont des boyaux de communication. Les miens, des catacombes même », écrit Kraus en 1915. La tragédie « Les derniers jours de l’humanité », outre qu’elle constitue l’un des plus violents réquisitoires contre la guerre qu’ait produit l’histoire de la littérature, s’en prend avant tout à la formation et la circulation des idées : la rumeur, le discours, la presse sont au centre des attaques de Kraus. De bouche en bouche, de titres de une en textes de sermon, de rapports militaires en communiqués de presse, la saloperie s’invente et se propage… Tantôt farce, tantôt poème dramatique, tantôt opérette, toujours sur la crête des comportements (loin de toute tentation psychologiste) le texte de Kraus s’offre à la scène comme un protéiforme continent. (…) Derrière chaque éclat de rire, le fracas des armes ; derrière chaque discours, les chairs meurtries derrière chaque bravoure, l’angoisse d’une vie non vécue. On l’aura compris : l’acteur est ici maître à bord. Découpé sur la nuit du théâtre, comme épinglé à la surface du monde, profus ou solitaire, avec sa seule défroque pour tout décor. Une machine scénique, donc, lumière, musique, chants (on se souvient du goût de Karl Kraus pour les opérettes d’Offenbach dont il fit de nombreuses adaptations) et, comme le notait Kraus durant cette Guerre qu’on nomma Grande : « Un visage dont les rides sont des tranchées »

« Kraus ne nous montre pas la vie au front, comme l’ont fait si magistralement Barbusse et Latzki. Il nous montre l’arrière-pays. Il nous présente la société qui fait la guerre, qui en jouit et l’exploite, faisant mijoter les plats de son amour-propre et de son égoïsme sur cette mer de flammes, cette « tragédie en cinq actes, avec un prologue et un épilogue » nous montre les « inventeurs et les protagonistes de cette grande époque » à l’action. Nous observons leur infâme existence, leur effroyable bêtise, leur cruauté et leur bassesse stupide. Nous les voyons courir après la grande tragédie de l’humanité, égoïstes, avides, brutaux et abrutis ; ils s’amusent et se gavent du sang et de la boue que fait gicler la machine de guerre. »
Dr Alfred H. Fried (prix Nobel de la Paix, 1911)

1986
Lectures performances de la version dite « scénique » établie par Kraux en 1936, dans le cadre de l’exposition « Vienne, naissance d’un siècle » au Centre Georges Pompidou – Interprètes : Heinz Schwarzinger (traducteur le la pièce avec Jean-Louis Besson), Philippe Adrien, Denise Chalem et Enzo Cormann.

1988
Les Derniers jours de l’Humanité de Kark Kraus
Mise en scène en collaboration avec Philippe Delaigue
Création Feyzin, Privas, Annemasse, Paris (Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, novembre 1988)

2000
France Culture
Mise en ondes en collaboration avec Jacques Taroni
Enregistrement en public à Strasbourg avec les élèves comédiens et régisseurs des groupes 32 et 33 de l’école du Théâtre National de Strasbourg
1ère diffusion 29 avril 2000